Delavar a trente ans. Il y a deux ans, il a décidé de changer de vie. Autrefois boucher à Ispahan, il quitte son quotidien pour celui de son père : devenir nomade. A contre-courant de la tendance actuelle. 
Ils représentaient un quart de la population iranienne il y a 100 ans. Aujourd’hui, ils ne représentent plus que 3 %. Les nomades d’Iran sont invisibles dans la société actuelle. La précarité, la difficulté du mode de vie et les sirènes de la modernité poussent de nombreux jeunes à quitter les montagnes et les déserts pour s’installer dans les villes. 
Lui aussi avait décidé de quitter les grands espaces pour accéder au confort de la vie citadine. Il raconte son ancienne vie sans nostalgie. Il tenait une boucherie dans la banlieue d’Ispahan. Il vivait honnêtement de son labeur et ne manquait de rien. Il s’est marié et a eu quatre enfants. 
Mais la mort de son père en a décidé autrement. «  L’annonce de son décès fut une révélation  » se souvient Delavar. Au-delà du cheptel à reprendre, c’est tout un héritage qu’il souhaite perpétuer. « Il y a de moins en moins de nomades de notre communauté, je devais agir ». Derrière cette décision se cache la crainte de voir la communauté nomade des Bakhtiari se diluer dans la sédentarité du mode de vie urbain. 
Comme tout Bakhtiari, Delavar a adopté son rythme de vie millénaire. Avec sa famille, il vient de s'installer dans ses quartiers d’hiver, dans le décor rocailleux du Khouzistan, région frontalière avec l’Irak. Delavar a marché trente jours avec son frère et leurs troupeaux. Les femmes et les enfants ont fait la route dans leur antique pick-up bleu. Deux fois par an, l’ensemble des Bakhtiaris effectuent une grande transhumance entre les régions d’estivage du centre de l’Iran et les régions d’hivernage du sud. Leur calendrier est rythmé par les saisons, à la recherche d’un climat tempéré. 
La vie quotidienne est également minutieusement cadencée par le rythme du jour. Au lever du soleil, les hommes s’occupent des animaux tandis que les femmes font le pain et préparent les enfants pour partir à l’école. En milieu de matinée, Delavar s’en va avec ses neveux, son âne ainsi que l’entièreté du troupeau de moutons. Equipés de bidons en plastique, ils entament leur marche quotidienne de quatre heures pour chercher de l’eau et quelques brins d’herbe pour le troupeau. L’après-midi oscille entre travaux manuels, siestes et devoirs scolaires. 
Zahrma, sa femme, semble moins enthousiaste : “C’est difficile de concilier cette nouvelle vie avec les obligations familiales. Faire le pain, préparer les repas, traire les brebis, faire du fromage, s’occuper des devoirs et de l’éducation des enfants. Comment puis-je faire tout cela convenablement ? J'ai l'impression de ne pas m'occuper correctement de mes enfants”. 
La vie de nomade est difficile pour les femmes. “Les hommes vivent au jour le jour au grand air. Nous les femmes, devons nous soucier de l’avenir. De l’avenir du ménage, de nos enfants. Nous préoccuper de leur éducation, de leur santé. Qui s’occuperait de tout ça ?”.
Delavar, lui, a tiré un trait sur la vie des villes. La vie est plus dure mais il se sent à sa place ici. Il se trouve utile en revendant la viande produite ici à un frère resté à Ispahan. Le monde moderne a besoin d'un homme isolé pour se nourrir. Ca le fait sourire. Il sait qu’il fait sans doute partie des derniers nomades d’Iran. 
L'odeur du pain chaud accompagne les premiers rayons de lumière de la journée. Tous les matins, Zahrma cuit le pain avant de préparer le petit déjeuner.
L'odeur du pain chaud accompagne les premiers rayons de lumière de la journée. Tous les matins, Zahrma cuit le pain avant de préparer le petit déjeuner.
Delavar inspecte les moutons avant de les sortir de l'enclos. C'est le moment d'observer si tout le monde est en bonne santé.
Delavar inspecte les moutons avant de les sortir de l'enclos. C'est le moment d'observer si tout le monde est en bonne santé.
Le troupeau est prêt pour la marche de la matinée vers la source. L'herbe autour du campement se fait rare et il est nécessaire de chercher de l'eau fraiche pour la journée.
Le troupeau est prêt pour la marche de la matinée vers la source. L'herbe autour du campement se fait rare et il est nécessaire de chercher de l'eau fraiche pour la journée.
Mehdi attend son oncle Delavar. Il est temps de partir pour éviter les heures chaudes.
Mehdi attend son oncle Delavar. Il est temps de partir pour éviter les heures chaudes.
Le troupeau suit docilement les ordres de Mehdi, qui affine son rôle de meneur. Delavar observe, silencieux, le jeune homme s'étoffer sur son âne.
Le troupeau suit docilement les ordres de Mehdi, qui affine son rôle de meneur. Delavar observe, silencieux, le jeune homme s'étoffer sur son âne.
Il reste une demi-heure de marche pour atteindre la source. La chaleur du mois d'octobre n'offre encore aucun répit à ceux qui décident de la braver. Le soleil, presque vertical, chasse tout ombrage.
Il reste une demi-heure de marche pour atteindre la source. La chaleur du mois d'octobre n'offre encore aucun répit à ceux qui décident de la braver. Le soleil, presque vertical, chasse tout ombrage.
A peine arrivé, Mehdi se jette dans l'eau sous l'oeil envieux de l'âne. La tentation de la fraicheur est irrésistible.
A peine arrivé, Mehdi se jette dans l'eau sous l'oeil envieux de l'âne. La tentation de la fraicheur est irrésistible.
Après deux heures de marche, Delavar trouve avec soulagement son point d'eau. Il a 5 bidons à remplir.
Après deux heures de marche, Delavar trouve avec soulagement son point d'eau. Il a 5 bidons à remplir.
Les bidons sont remplis mais les ventres se vident. Il faut deux heures pour rentrer au camp.
Les bidons sont remplis mais les ventres se vident. Il faut deux heures pour rentrer au camp.
Les citernes à eau coupent l'horizon comme des murailles réconfortantes. Elles marquent la fin du campement, comme une barrière contre l'inconnu. Leur enveloppe brillante protège l'eau fraiche des rayons vifs du soleil. A peine remplies, elles seront rapidement vidées avec les besoins des familles et des troupeaux.
Les citernes à eau coupent l'horizon comme des murailles réconfortantes. Elles marquent la fin du campement, comme une barrière contre l'inconnu. Leur enveloppe brillante protège l'eau fraiche des rayons vifs du soleil. A peine remplies, elles seront rapidement vidées avec les besoins des familles et des troupeaux.
Une moto ainsi qu'un antique pick-up attendent à la sortie de la tente. La motorisation des nomades est une avancée majeure dans la survie de leur mode de vie. Elle facilite la transhumance et permet de se rendre rapidement en ville en cas de besoin.
Une moto ainsi qu'un antique pick-up attendent à la sortie de la tente. La motorisation des nomades est une avancée majeure dans la survie de leur mode de vie. Elle facilite la transhumance et permet de se rendre rapidement en ville en cas de besoin.
Delavar tente de superviser les devoirs de son fils mais le sommeil du début d'après-midi le gagne.
Delavar tente de superviser les devoirs de son fils mais le sommeil du début d'après-midi le gagne.
Les après-midis brûlants donnent soif. L'eau fraiche, puisée le matin même est une ressource précieuse.
Les après-midis brûlants donnent soif. L'eau fraiche, puisée le matin même est une ressource précieuse.
Réveillé par la sonnerie criante de son vieux téléphone, Delavar va devoir reprendre le travail. Un de ses frères habite toujours Ispahan et revend la viande qu'il produit ici. Il l'appelle pour une commande. Le monde moderne a besoin d'un homme isolé. Ca le fait sourire.
Réveillé par la sonnerie criante de son vieux téléphone, Delavar va devoir reprendre le travail. Un de ses frères habite toujours Ispahan et revend la viande qu'il produit ici. Il l'appelle pour une commande. Le monde moderne a besoin d'un homme isolé. Ca le fait sourire.
Après une sieste réparatrice, il est temps de retourner travailler. Aujourd'hui, Delavar, aidé de ses neveux, cherche des ballots de paille laissés au creux d'une petite vallée.
Après une sieste réparatrice, il est temps de retourner travailler. Aujourd'hui, Delavar, aidé de ses neveux, cherche des ballots de paille laissés au creux d'une petite vallée.
La pente est raide et instable. Les ballots sont lourds. L'âne a beaucoup de mal à tenir debout et chutera deux fois.
La pente est raide et instable. Les ballots sont lourds. L'âne a beaucoup de mal à tenir debout et chutera deux fois.
Nous laissons les ballots sur une crête accessible en voiture. Le pick-up bleu sera très utile pour ramener la lourde cargaison au campement.
Nous laissons les ballots sur une crête accessible en voiture. Le pick-up bleu sera très utile pour ramener la lourde cargaison au campement.
Une famille termine sa transhumance pour commencer son hivernage dans la province du Khouzistan. Delavar est déjà installé à quelques collines d'ici.
Une famille termine sa transhumance pour commencer son hivernage dans la province du Khouzistan. Delavar est déjà installé à quelques collines d'ici.
En fin d'après-midi, Mahza n'est pas très satisfaite. Elle n'a toujours pas terminé ses devoirs et ne comprends pas son énoncé de mathématiques.
En fin d'après-midi, Mahza n'est pas très satisfaite. Elle n'a toujours pas terminé ses devoirs et ne comprends pas son énoncé de mathématiques.
Tous les soirs, un joyeux chaos s'empare du campement. Hommes, femmes et enfants courent autour des troupeaux pour les rassembler et les mettre en enclos pour la nuit. Rires et cris intimidants se mêlent aux jets de pierres et aux mouvements de bâtons.
Tous les soirs, un joyeux chaos s'empare du campement. Hommes, femmes et enfants courent autour des troupeaux pour les rassembler et les mettre en enclos pour la nuit. Rires et cris intimidants se mêlent aux jets de pierres et aux mouvements de bâtons.
Comme chaque soir, Delavar se réunit avec ses fils et ses neveux. Il aime reprendre les évènements de la journée qu'ils ont passé ensemble et préparer le lendemain.
Comme chaque soir, Delavar se réunit avec ses fils et ses neveux. Il aime reprendre les évènements de la journée qu'ils ont passé ensemble et préparer le lendemain.
Chaque discussion nocturne est ensuite animée par une longue tirade de Delavar sur l'importance de la vie nomade et inspirée des épopées historiques des Bakhtiari.
Chaque discussion nocturne est ensuite animée par une longue tirade de Delavar sur l'importance de la vie nomade et inspirée des épopées historiques des Bakhtiari.
Les enfants écoutent, silencieux, les élans lyriques du patriarche. Les regards sont focalisés sur un infini que les bâches des tentes ne peuvent arrêter.
Les enfants écoutent, silencieux, les élans lyriques du patriarche. Les regards sont focalisés sur un infini que les bâches des tentes ne peuvent arrêter.
Dans ce désert coupé du monde, le téléphone est devenu indispensable pour Delavar. Il reste en contact continu avec sa famille et permet de localiser ses proches pendant la transhumance.
Dans ce désert coupé du monde, le téléphone est devenu indispensable pour Delavar. Il reste en contact continu avec sa famille et permet de localiser ses proches pendant la transhumance.
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