Hikaru, salaryman pressé le jour, seul la nuit. 20 h 45, il quitte le vingtième étage de la tour de son entreprise. Il s’arrête à mi-chemin dans les rues animées de Shinjuku pour avaler quelques sushis sur une table haute, accolée à un mur. Il termine sa bière face au menu du soir et à une publicité pour une salle de jeux puis s’engouffre dans le métro qui le mènera au pied de son petit appartement.
Décembre 2018, mon premier contact avec Tokyo. J’ai toujours eu pour habitude d’arrêter les gens, ou de me faire arrêter, pour les voir de plus près, les individualiser et comprendre leur quotidien. A Tokyo, je n’ai jamais osé arrêter ce flux humain, celui qui entre et sort des gares, des grands magasins, des bordels ou des sièges des multinationales. Les rares regards timides que je croise se faufilent rapidement dans le recoin d’une rame de métro. Ils m’attendrissent puis me mettent mal à l’aise et me rendent timide à mon tour. Je me sens seul, comme ces millions de gens qui marchent, mangent et dorment en parallèle sans jamais se croiser. Ces rues pleines semblent vides. Aucune publicité criarde, aucune enseigne multicolore, aucune chanson enfantine échappée d’un centre commercial ne parviennent à combler cette solitude. Le temps de quelques secondes, une silhouette lointaine vient marquer une présence humaine dans ce décor mécanique. Où va-t-elle ? Au bureau ? Chez elle ? A une soirée karaoké avec des amis ? L’intimité rare et sanctuarisée des tokyoïtes m’est interdite. Elle se dévoile par des ombres chinoises dans des carrés de lumières, inaccessibles, qui agrémentent les gratte-ciels. Chacune de ces silhouettes esseulées, détachées du flux saccadé des carrefours, me sont offertes comme un début d’humanité.
Est-ce propre à Tokyo ? Les silhouettes, rendues noires par le contrejour d’un éclairage nocturne, sont dépouillées de toute identité culturelle et géographique. Elles sont le reflet de la vie dans toute mégapole hyper-mondialisée, où chacun tente de trouver sa place